Tout scrum master ayant quelques sprints d’expérience s’est déjà confronté à un problème plus ou moins profond de motivation, ou d’implication de son équipe. Que ce soit de la part des développeurs ou du PO, il arrive que des tâches répétitives, malgré une habituelle bonne entente entre les différentes personnes, finissent par casser la motivation. Non, mettre en place les réunions et le rituel du Scrum, les itérations et rétrospectives ne suffisent pas en soi à pallier à cette difficulté.

Une problématique que j’ai rencontré cette semaine – et à nouveau – au sein d’une équipe avec laquelle je travaille depuis (peut-être?) un peu trop longtemps (plus de 18 mois). Ses membres, eux-mêmes, travaillent ensemble depuis plusieurs années, jusqu’à 4 pour certains. On se retrouve dans une situation proche d’un groupe d’amis, avec ses bons et ses mauvais côtés. Le pire étant cette facilité que nous partageons tous à nous installer dans un rôle, sans plus en bouger. Le PO est fatigué de motiver, d’animer l’ambition de son équipe à l’aide d’une vision produit qui n’a pas été revue depuis longtemps. Les développeurs n’arrivent plus à trouver l’envie de participer de manière active aux rétrospectives, viennent blasés à un rituel dont ils ne saisissent plus toujours l’intérêt, ne participent presque plus à la création des stories lorsque le PO et moi-même tentons de leur proposer. Bref, ambiance morose dans les règles de l’art…

Il m’est arrivé de gérer des problématiques de motivation. Cela se fait parfois facilement, surtout lorsqu’on arrive dans une équipe. Tout le monde nous voit – à juste titre – neutre. Mais quid d’une équipe qui nous connaît bien, avec qui cet aspect a déjà été abordé plusieurs fois?

A/ Compter sur un allié…

Il m’est venu l’idée de m’appuyer sur le PO, d’en discuter avec lui en amont, et de vérifier si nous étions d’accord sur le constat. J’ai la chance d’avoir un PO investi dans son rôle, qui prête une grande attention également à la motivation, tout autant qu’à l’implication de son équipe. La prochaine rétrospective ayant lieu le lendemain de notre entrevue, nous convenâmes d’y amener la problématique. Plus exactement, je lui ai confié la “patate chaude”: d’amener le sujet.

(Pour rappel, je suis censé être neutre. Aussi, je ne peux me permettre d’enfoncer trop les portes et il est important de pouvoir m’appuyer sur d’autres personnes – certes, c’est un peu un jeu de manipulation – pour pouvoir faire émerger certains sujets. D’un autre côté, ayant la responsabilité de faciliter les discussions, en laissant le PO amener le sujet, je ne l’abandonne pas pour autant.)

B/ Créer des conditions favorables à la remontée du sujet.

Dire à une équipe démotivée qu’elle est démotivée, c’est un peu comme dire à une personne susceptible qu’elle est susceptible… C’est délicat.

Il est nécessaire de créer un cadre dans lequel le sujet peut émerger sans passer pour une accusation, et permettre à chacun de s’exprimer. Le tout en étant portant explicitement une attention pointilleuse à chaque remontée, à chaque proposition. C’est un des outils simples et efficaces pour amener les membres de son équipe à exprimer autant que possible tout ce qui les dérange, et dont ils ne font pas mention en règle générale, par lassitude ou par crainte.

Pour la rétrospective, j’ai utilisé le modèle Learning Matrix. Le canvas offrit à mon PO la possibilité d’écrire le post-it suivant: “Implication / Motivation de l’équipe” et de le coller dans la case “idées / questions”. D’une certaine manière, mon PO est diplomate et j’avoue que c’est un atout essentiel.

En règle générale, pour chaque post-it collé en “idées / questions” ou en “bad mood”, la parole est donnée aux membres de l’équipe pour me permettre de noter toutes les actions qu’ils peuvent imaginer pour améliorer la chose. Il nous est déjà arrivé, lors de précédentes rétrospectives, d’aborder le problème de la motivation de cette manière. Et nous avions déjà remonté alors un certain nombre d’actions à mettre en oeuvre. Cela n’a de toute évidence pas suffit. L’expérience montre rapidement que cette fameuse motivation, contrairement à d’autres problématiques que peuvent rencontrer les équipes, fait défaut de manière récurrente. Difficile d’être à fond, très longtemps, à travailler sur le même produit, quelque soit la méthodologie en oeuvre. Et lorsqu’une manière de trouver des solutions ne fonctionne pas, il devient nécessaire d’expérimenter autre chose…

J’en fis donc un sujet à part, déplaçant le sujet volontairement pour la fin de la rétrospective, le tout en suggérant une pause avant de s’y attaquer. Dans la foulée le PO proposa à l’équipe de faire un tour de table, pour que chacun puisse donner son opinion. Je ne suis pas un grand adepte de cette manière de procéder: les derniers se contentant un peu trop souvent de se défausser: “rien rajouter à ce qui a été évoqué avant…”.

J’ai laissé faire ceci dit. Il n’y a rien de pire que de frustrer une tentative en l’arrêtant nette, sans lui avoir au moins laisser la chance de pouvoir exister (quoiqu’on puisse en penser…). Et la proposition du PO était bonne, malgré mes réserves. Ce tour de table a amené des questions, souvent intéressantes, sur ce que chacun pouvait ressentir, penser dans cette équipe.

C/ Oser laisser les choses s’échapper, laisser l’équipe se (re)définir par elle-même.

  • Comment chacun voit son rôle et celui des autres?
  • Comment chacun voit sa responsabilité, son autonomie, sa légitimité?
  • Comment chaque membre de l’équipe voit, et se voit, au sein de la structure?

Je me posais ces questions depuis un certain temps. Un des éléments fondateurs de la motivation est notre “raison d’être” (purpose) dans l’entreprise(ici un excellent exposé sur le sujet, de la part de Dan Pink). Parfois, on perd cela de vue, surtout dans une équipe Scrum qui par définition est un havre protégé des interférences que peuvent causer d’autres services (marketing, …) ou le management. J’avais croisé, lors de mes errances webiennes, l’idée d’un exercice permettant de mettre en valeur, pour chaque rôle dans l’équipe, ce qui était attendu des autres rôles, dans l’équipe autant que dans l’entreprise.

Cet exercice m’est revenu pour deux raisons:

  • vérifier, clarifier que chacun membre de l’équipe (ainsi que le PO) était aligné sur leurs attentes,
  • fournir un moyen simple – peut-être un peu déraisonnable et tordu – de les replacer dans le contexte d’un ensemble qui dépasse celui de leur équipe autarcique.

Sur le tableau blanc, je leur ai dessiné une nouvelle matrice. En colonne, ce qui est attendu pour chaque rôle: développeur, PO, Scrum Master, management. En ligne, les rôles qui définissaient leurs attentes, à savoir ici uniquement développeur et PO (il serait intéressant que je puisse refaire cet exercice y intégrant l’équipe de management également, d’ailleurs).

J’ai été surpris par les premières réactions…

  • “On doit remplir des posts-it?”
  • “On utilise des verbes ou des adjectifs?”

Au final, avec un grand sourire – oui, j’étais curieux – je les ai laissés avec un “comme vous voulez”. Et je n’ai pas été déçu. Les développeurs se sont répartis en deux équipes. Mon PO est – tristement pour lui, mais c’était le jeu – resté avec lui-même.

Voici le résultat (à peu près, évidemment… Certains post-its qui concernent la particularité de l’entreprise se sont vus gommés)
role_small

Certes, ceux qui ont fait des dessins ont plus répondu à “comment vous voyez…”, qu’à “qu’attendez-vous…”. Mais peu importe. Ce qui m’est utile n’est pas forcément qu’ils restent dans les sentiers que je leur dessine, mais qu’ils m’apprennent des choses, sur leur manière de voir leur travail, les interactions qu’ils ont, et, finalement, tout décrit toujours, quelque part, une attente.

Mais, surtout, ce qui m’a marqué, ce sont la bonne humeur et les rires qu’ils ont tous pu avoir au moment de “faire l’exercice” (et ce n’était pas gagné). J’ai appris pas mal de choses et à nouveau je les ai vu réagir en équipe, et non comme un ensemble de personnes, à moitié endormies, sur leurs chaises. Ah! Et je suis Pikachu :D.

D/ Keep cool, keep calm.

La motivation est un outil de productivité essentiel. Elle se travaille lentement, au fil de l’eau, et n’est jamais acquise.

Une réunion où on retrouve l’implication de l’équipe à exister et à s’exprimer ne suffit évidemment pas à crier victoire. Cependant, c’est une opportunité de “bonne humeur” qu’il faut saisir pour en engendrer d’autres, encore et encore, et revitaliser son équipe.

E/ Bilan

  • trouver un allié diplomate
  • ne pas amener le sujet soi-même, mais permettre qu’il existe dans les meilleures conditions possibles
  • ne pas le traiter comme “les autres sujets”, en faire un point à part, pour valoriser son importance
  • laisser exister toute initiative pour aborder le sujet. On est très souvent agréablement surpris en faisant confiance à son équipe.
  • créer des conditions de bonne entente / bonne humeur
  • utiliser cela comme tremplin.

Il nous reste, maintenant, à faire en sorte de surfer correctement sur cette vague et d’apprécier la chance d’appartenir une équipe qui a des besoins simples: pouvoir travailler dans le fun, que le contenu du backlog soit ou non motivant.

pikachu