(Ou comment finir un article par: “Peut-être, monsieur Victor Hugo, pourrons-nous détruire la misère…”)

Suite à une discussion avec un ami et sans avoir pour autant tant d’expertise en sciences politiques et économiques, je me permets de faire un article un peu décalé, bien que ma propre démarche vers l’Agile s’inscrit totalement dans cette pensée.

Nous avons de belles valeurs derrière ces mots qui font vibrer, quand bien même nous puissions les ressentir plus tels de vieux fantasmes que des réalités concrètes. Et pourtant, nous pouvons faire en sorte de vivre celles-ci…

Trop de responsabilités “confiées” aux hommes politiques.

Le débat démarra sur l’idée que nos politiques n’étaient pas capables de nous sortir des crises économiques, de la peur du chômage, de la sécurité. Je pourrais étendre encore: combien de fois peut-on entendre que l’enseignement est mis en faillite en raison des diverses réformes (pour ceux qui suivent un peu l’histoire, ces dérives réformistes ne datent pas d’hier. Dès l’après-guerre, les ministères se concentrent sur la démagogie au détriment de l’avenir, privilégiant les parents – électeurs – plutôt que le savoir des enfants – l’avenir, “on verra plus tard”).

Tous nos maux trouvent aujourd’hui leur source dans ces assemblées de quelques élus, qui en prenant de mauvaises décisions saignent le pays…

Ou pas…

Je ne dirai certainement pas que ces hommes sont des anges: ils occupent leur carrière à lutter dans leur quête d’un pouvoir qu’ils n’ont pas.

Ils manipulent les peurs des foules pour parvenir à leurs fins. Car, enfin, la peur rend le peuple docile, manipulable. Le focaliser sur ses effrois plutôt que de lui offrir une vision d’avenir qui pourrait réveiller son esprit critique, quelle figure politique pourrait bien le souhaiter?

Et pour autant, leur pouvoir est bien limité. La politique est essentiellement une carrière, privée de sens: il y a un beau salaire, cependant les mains sont liées.

Non, le chômage ne reculera pas par des réformes, par plus d’administratif et de législations qui alourdiront plus encore l’inertie des entreprises françaises.

Non, la sécurité ne peut venir d’une démarche sécuritaire.

Non, l’instruction du futur ne peut se programmer par une dizaine de personnes hors des réalités du terrain.

Cependant, il est bien plus facile de les considérer responsables pour ces sujets: on “vote” pour élire des personnages à critiquer. Et nous avons oublié pour autant deux piliers de notre République:

  • l’essentiel de ces hommes ne sont pas là pour nous guider, mais pour nous représenter. La différence est loin d’être subtile.
  • l‘action citoyenne est le sens même de notre République: en tant que citoyen, nous avons notre cadre législatif au sein duquel et grâce auquel nous pouvons et nous devons participer à l’épanouissement de notre société, de notre avenir. Nous en sommes responsables et cette responsabilité ne se limite pas au droit de vote (qui se transforme, au passage, en devoir de vote aujourd’hui).

Et finalement, la fainéantise de la masse, notre fainéantise, est bien ce qui nous invite à être hypocrites en condamnant des hommes politiques que nous élevons aux rangs de divinités, de rois, bien loin du rôle de représentation et de porte-parole qui devrait être le leur.

De la représentation par nos [hommes] politiques.

En parlant de cette importance du porte-parole des citoyens, car, enfin, les assemblées du peuple ont été créées dans ce but, il est gênant de constater que les hommes politiques ne représentent plus leurs régions, leurs départements, leurs villes. “Élus à 55%”, avec plus de 50% d’abstention, cela signifie surtout que 72,5% des citoyens n’ont pas voté pour le candidat élu. Quelle légitimité peut bien avoir l’homme politique pour s’exprimer au nom du peuple?

Et cela se remarque élection après élection. Les données de l’abstention disparaissent 30 minutes après l’annonce des résultats.

Reprendre conscience des rôles

De ce constat me vient l’urgence de reconsidérer, ou du moins se rappeler, des rôles des politiques et de ceux des citoyens.

J’en fais un paragraphe purement réthorique, alors que j’en ai déjà fait mention plus haut, uniquement pour pouvoir le marteler une nouvelle fois: les “responsables politiques” sont avant tout là pour tenter de représenter une population, non pour la diriger.

Une population qui, au-delà même de se laisser diriger, légitime par elle-même un pouvoir oligarchique par ses plaintes incessantes ne peut obtenir – ni ne mérite – une quelconque démocratie.

Et, si cette même population est malheureuse de sa situation, il existe de nombreux moyens de la modifier, de la changer, autres d’ailleurs que le chemin de la politique et de l’état.

L’école libre, ou la Liberté d’Opinion

Aller… Au passage, rappelons que l’Education Nationale ne porte ce nom douteux – qui laisse à penser que l’éducation est à la charge de la nation et non de la famille – que depuis 1932.

Avant, selon la proposition de Condorcet, le ministère se nommait Instruction Publique. Pas la même chose dans le sens, n’est-ce pas?

Ainsi, dans ces écoles les vérités premières de la science sociale précèderont leurs applications. Ni la Constitution française ni même la Déclaration des droits ne seront présentées à aucune classe de citoyens, comme des tables descendues du ciel, qu’il faut adorer et croire. Leur enthousiasme ne sera point fondé sur les préjugés, sur les habitudes de l’enfance ; et on pourra leur dire : « Cette Déclaration des droits qui vous apprend à la fois ce que vous devez à la société et ce que vous êtes en droit d’exiger d’elle, cette Constitution que vous devez maintenir aux dépens de votre vie ne sont que le développement de ces principes simples, dictés par la nature et par la raison dont vous avez appris, dans vos premières années, à reconnaître l’éternelle vérité. Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auront été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé en deux classes, celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves.»

(Condorcet.  Rapport et projet de décret relatifs à l’organisation générale de l’instruction publique. Présentation à l’Assemblée législative : 20 et 21 avril 1792)

L’école et l’instruction se doivent d’être libres. Les mots de Condorcet l’exprimeront bien mieux que moi, pour ceux qui ont encore aujourd’hui le courage de lire plus de 256 caractères, à l’époque du tweet, du consumérisme des masses minimalistes. (Bon, en même temps, si vous en êtes arrivés là… ce serait dommage de s’arrêter dans une si belle lancée…)

Libres et détachées de tout pouvoir. Je dis “détachées”, je ne veux pas non plus dire “sourdes et ignorantes de tout pouvoir”. Il est nécessaire, pour instruire, d’expliquer aux enfants, aux adultes, à l’ensemble de tous les citoyens, ce que sont les institutions, qu’elles soient politiques, religieuses, ou autres. C’est la base de tout esprit critique.

On nous parle souvent de l’école laïque. J’irai plus loin: la liberté de l’enseignement et de l’école ne doit pas se limiter à la religion. L’école publique, l’instruction publique, se doit d’être autonome dans son organisation et son contenu, loin de tout pouvoir politique.

Le poids du jeu politique sur le ministère de l’Education Nationale est à l’origine d’un prix qui nous commençons aujourd’hui à payer et qui augmente de génération en génération. Aujourd’hui, l’école existe pour satisfaire les parents, non plus pour former et instruire les générations futures. On se soucie plus de l’organisation personnelle des parents que du contenu apporté. On a supprimé les filières d’instruction courtes pour se complaire de tout un tas diplômes supérieurs inutiles, aggravant l’incompétence et l’inadaptation des jeunes français.

Parce que l’Education Nationale est entre les mains d’élus, celle-ci devient un argument électoral. Parce qu’elle est devenue un argument électoral, son objectif n’est plus d’instruire, mais de satisfaire aux besoins primaires et immédiats des électeurs. Or, répondre aux besoins du présent sans se soucier des conséquences ne mène que rarement à un futur rayonnement.

Par ailleurs, le “budget de l’Etat” est depuis bien trop longtemps l’excuse d’autres dérives de l’instruction. On limite le nombre d’instituteurs et d’enseignants. Ceux-ci ont bon dos et j’admire volontiers ses travailleurs qui continuent à oeuvrer au sein d’une société qui les considère comme un poids, alors qu’ils sont notre chemin balisé vers l’avenir. A côté de ces personnes de terrains, l’administration tentaculaire et invisible de ce ministère consomme, se délecte dans la pénombre et empêche toute initiative. Alors, oui, je crois en la possibilité de réussite d’écoles indépendantes entièrement: financièrement et dans leur contenu. Et je crois aussi en la possibilité qu’elles soient dirigées par des femmes et des hommes dont la principale finalité est de porter l’avenir de notre société vers son épanouissement, et non son inculture.

On pourra me rétorquer que je suis en train de parler d’un système d’établissement privés. Non. N’est pas public ce qui est gratuit et sous la tutelle des assemblées, est public ce qui est ouvert à tous. (certes, ce qui n’est pas gratuit peut sembler “non ouvert à tous”… Tout dépend du montant…)

Toujours dans la même proposition de Condorcet:

S’il fallait prouver par des exemples le danger de soumettre l’enseignement à l’autorité, nous citerions l’exemple de ces peuples, nos premiers maîtres dans toutes les sciences, de ces indiens, de ces égyptiens, dont les antiques connaissances nous étonnent encore, chez qui l’esprit humain fit tant de progrès, dans les temps dont nous ne pouvons même fixer l’époque, et qui retombèrent dans l’abrutissement de la plus honteuse ignorance, au moment où la puissance religieuse s’empara du droit d’instruire les hommes.

Au passage, depuis un an, mon cerveau finit par ressembler au foie gras d’une oie gavée par des “liberté d’expression!”.

NON!

La liberté d’expression ne représente pas les valeurs de la République et de la France en soi : la Liberté de notre devise correspond à la Liberté d’Opinion. Ce qui n’est pas pareil… Plus précisément: avoir une liberté d’expression sans avoir de liberté d’opinions forgée par le développement d’un esprit critique libre de croyances arbitraires ne sert qu’à offrir la liberté d’exprimer du vent. Expression, opinion et esprit critique: s’il en manque un, les autres sont inutiles. A n’utiliser que le mot “expression”, on finit par oublier l’importance des autres.

La société civile égalitaire, ou l’Egalité en droits et en devoirs.

Une société civile égalitaire… Je crois que nous avons fait des progrès sur certains points. Je crois que nous avons reculé sur d’autres.

En un siècle, la société française s’est vue dotée d’un état providence de plus en plus fort.

  • La sécurité sociale, rassemblement de mutuelles anciennes, a offert à tous l’accès aux soins. Ce n’était pas le cas au début du XX siècles.
  • Le droit de vote à tous citoyens. Ou du moins… Considérer que les femmes étaient également des citoyennes. Cela paraîtra absurde à la jeune génération, tant cela peut couler de source, et pourtant…

Cependant, cette Egalité est loin d’être toujours bien traitée. Le civisme des français n’est pas toujours leur première qualité (hmmm… ironie?). L’impunité des représentants politiques, les traitements infligés à tous ceux qui ne sont pas “dominants” dans une société de privilèges hérités et de machisme…

Il y a encore beaucoup à faire – et beaucoup est également en marche. L’Egalité est le sujet, néanmoins, avec lequel je suis le plus mal à l’aise, parce que c’est un aboutissement. Précisément, j’entends par là qu’une société civile égalitaire est l’aboutissement d’une Instruction Publique libre.

L’économie fraternelle, ou la Fraternité bâtisseuse.

La fraternité des personnes vivant et oeuvrant en France…

Nous évoluons dans une vision du monde à la fois archaïque et moderne. Par moderne, j’entends “qui date des années 1920”, pas d’aujourd’hui.

Nous avons déserté l’artisanat. Nous avons créé des monstres humains derrière nos entreprises et nos institutions. Suite à la croissance rapide de celles-ci, suite à l’essor de l’industrie, nous nous sommes organisés. Et nous l’avons fait en suivant un modèle que nous connaissions si bien. Un modèle dans lequel nous avons existé pendant des siècles, un modèle que nous avons combattu. Nous avons recréé le système féodal au sein même des entreprises, publiques ou privées, symbole de la puissance économique française. (Et là, le gamer en moi souhaite juste dire: “GG!”).

Le chef d’entreprise est un roi. Avec son armée de vassaux qui lui font la cour et s’affrontent, les uns les autres, au détriment de ceux qui leur sont inférieurs. La pyramide hiérarchique, à l’origine mise en place pour faciliter l’organisation, la fige, la met en stase aujourd’hui. Et, plus l’entreprise grandit, plus on rajoute des échelons de vassaux. Tout un ensemble de personnes qui n’ont pas de réel but dans l’entreprise, si ce n’est qu’être des passeurs d’ordres. Tout un ensemble de personnes qui ne produisent rien et qui feront tout pour que cela ne se remarque pas, quitte à en être nocifs, passant leur temps à contrôler, réprimer, réprimander (ce qui est au passage complètement régressif). Tout un ensemble de personnes qui sont formées à cela, qui ne s’en rendent pas compte et qui trouvent cela totalement naturel et normal: les Bullshit Job[ers]

Et tout en bas, on trouve des serfs…

Ne me méprenez pas: je ne parle pas de lutte des classes. Parce que les serfs, aujourd’hui, ne sont pas forcément des ouvriers. Il peut également être question d’ingénieurs ou autres. Ici, il est question d’un système de domination à l’encontre de toute fraternité et de tout sentiment d’appartenance. Et il n’est plus une question uniquement de classes. La domination est une drogue invitant les êtres humains à faire ressortir leur travers les plus pervers en leur promettant monts et merveilles. Et celle-ci est en libre service à n’importe quelle personne considérant l’idée d’en écraser une autre comme un bien petit mal nécessaire (à contrario du système de classes, qui est largement plus figé).

Ceci dit, il existe d’autres voies. Il existe l’entreprise libérée. Il existe le retour à l’artisanat et à la proximité des commerces, des créateurs, des bâtisseurs. Il existe la démarche Agile. Tout cela s’inscrit dans un mouvement largement engagé aujourd’hui, bien que cette étincelle soit encore loin de pouvoir être considérée comme un changement profond.

Au travers ces initiatives et ces manières de penser le travail et l’économie, on peut y lire clairement le souhait de revenir à un sens dans son métier autant que dans sa vie. Le souhait de construire ensemble. Le souhait de se rapprocher les uns des autres. Le souhait d’offrir au plus grand nombre une fraternité, plutôt qu’une lutte féodale.

Parce qu’on ne peut tout dire en un article…

J’aurais aimé bien plus creusé l’Egalité. Quand à la Fraternité… Je ne peux qu’à peine survoler le sujet. Et l’Instruction Publique… Sujet trop passionnant pour en rester à quelques lignes…

Cependant, rien qu’avec ceci, j’ai envie de conclure ainsi:

De cette proximité, de cette Fraternité,
… De l’Egalité en droits et en devoir retrouvée,
… De la Liberté d’opinion et ses débats construits,
Peut-être…
Peut-être qu’alors nous pourrons attaquer ensemble ce mal que nous ne vaincrons jamais et que nous ne pouvons pour autant laisser en paix.
Peut-être, monsieur Victor Hugo, pourrons-nous détruire la misère.