“Le problème c’est que… ” est un préfixe de phrases communs par chez nous, Français.

Cela ancre nos comportements, nous permet de trouver un ou des bouc-émissaires, de voir la faute en dehors ou culpabiliser et, surtout, de s’offrir le droit de ne pas être “acteurs”.

Cet article tend à expliquer, de manière (trop) succincte, l’utilité du bouc-émissaire dans un système, et le regard différent de l’approche systémique sur les “gens à problèmes”.

La causalité linéaire: une vision simpliste de la réalité.

Partons du principe qu’une équipe, un groupe, une organisation, un couple ou encore une famille est un système vivant.

Ce système se caractérise par des interactions internes et externes. On l’appellera système ouvert, parce qu’il est influencé par les communications qu’il entretient avec l’extérieur (autres équipes, entreprises concurrentes, …).

Lorsque nous intervenons au sein d’une équipe en difficulté, d’un groupe, d’une organisation, d’un couple ou encore d’une famille, la situation nous sera souvent présentée avec un bon nombre de responsables, internes et externes au système.

  • “Notre concurrent nous met en difficulté et cette équipe n’est pas capable de livrer correctement pour nous faire remonter la pente”
  • “Nos ventes baissent, les clients ne veulent plus de nos produits. Nos responsables marketing sont complètement à la rue.”
  • “Ma vie de couple est insupportable, ma conjointe ne cesse de se plaindre.”

Voici tout un exemple de coupables désignés qui nous seront présentés immédiatement par les représentants du système.

Etant donné que nous ne pouvons nous occuper des “coupables externes”, nous aurons une tendance à nous focaliser sur les “coupables internes”. Une approche naïve et instinctive sera de prendre rendez-vous avec le coupable interne pour pouvoir travailler sur ses “root causes”, en se concentrant sur sa situation. Par naïve, j’entends “mécanique”.

Nous sommes éduqués, en France, à traiter un problème là où on le voit: culturellement notre manière d’appréhender le monde suit le schéma causes – conséquences. C’est ce qu’on appelle la causalité linéaire.

Le patient désigné

L’approche systémique propose une autre appréhension de la réalité, par la notion de causalité non-linéaire et le principe des rétroactions.

Reprenons cet exemple:

“Notre concurrent nous met en difficulté et cette équipe n’est pas capable de livrer correctement pour nous faire remonter la pente”

En systémique, nous considèrerons que les difficultés expliquent effectivement la difficulté de l’entreprise à faire face au concurrent. Cela n’est pas remis en cause.

Cependant, nous considérerons également que les communications externes du système (entre l’entreprise et son concurrent) et internes (crystallisation du problème autour de l’équipe) sont la cause des difficultés de l’équipe.

De là vient le concept de patient désigné, ou porte-symptôme.

Nous considérerons ce patient non comme le problème à traiter, mais comme le symptôme du dysfonctionnement et de la souffrance du système.

Afin de pouvoir observer, comprendre et traiter correctement les dysfonctionnements, il est nécessaire d’élargir l’accompagnement et la prise en charge autour du patient désigné.

L’homéostasie et la rigidité des modalités de communication.

A qui sert le patient désigné? Au système.

A quoi sert le patient désigné? Au maintien de l’équilibre du système, qu’on appelle “homéostasie”.

Ce patient est un bouc-émissaire des autres membres du système et leur permet de ne pas avoir à changer ou à se remettre en cause. Si les symptômes portés par ce patient disparaissent, cela forcera les autres membres du système à changer.

De là émerge l’homéostasie du système:

Les autres membres du système, par l’usage de feedback négatif vis à vis du porte-symptômes, vont entraîner une rétroaction “pathologique” de celui-ci. Cet échange aura pour effet de maintenir l’équilibre des forces, des rôles et des positions dans le système, le figeant dans la souffrance de ses membres.

Si on s’intéresse au patient plutôt qu’au système, que l’on se concentre sur le symptôme plutôt que de considérer le système comme une entité atomique, ce dernier va s’auto-réguler. Ainsi, au fur et à mesure que le patient ira mieux, d’autres membres du système connaîtront de nouvelles difficultés, afin que les rôles de pouvoir et les habitudes de communication et d’interactions du système soient maintenues. Cela se voit dans une équipe: lorsqu’un membre en souffrance se sent mieux, l’équipe trouvera un nouveau bouc-émissaire. Ceci s’explique par l’absence de changement des modalités de communication et de positionnement interne au système. Cela s’observe dans n’importe quel système: dans une famille ou dans une entreprise. Combien de fois nous est-il arrivé d’améliorer la situation d’une équipe pour voir, juste derrière, la dégradation du quotidien d’une autre?

S’il est important de soigner les symptômes (et donc de s’occuper du patient désigné) afin de décharger le système de sa souffrance à court terme, il est critique d’aborder également l’accompagnement du sytème dans son ensemble, afin d’offrir à l’ensemble des membres du système la possibilité d’observer leurs modalités de communication et les aspects pathogènes de ce système.

Le système en tant que porteur de ses aspects pathogènes, mais également salutogènes.

Le système est donc l’entité dont sont issues les difficultés et les sources pathologiques. Une fois ceci dit, on pourrait en arriver à une impasse.

Il est envisageable de se concentrer sur des équipes en difficulté, des personnes atteintes de pathologies. On peut traiter cela. Mais comment traite t-on un un système?

Et, afin de s’offrir un petit vertige: le système que l’on considère est un système ouvert appartenant à un système plus grand. Ainsi, la souffrance du système que nous observons n’est-elle pas que le symptôme de la souffrance du système auquel il appartient? Et bien… Si. C’est bien le principe de la systémique.

Cependant, nous tâcherons d’intervenir localement (mais pas trop).

Ainsi, lorsqu’on intervient auprès d’un membre d’équipe qui est un porte-symptôme, on réunir l’équipe, à chaque fois.

Lorsqu’il s’agira d’une équipe en tant que porte-symptôme, on réunira son environnement (le plus proche).

Et l’approche sera la même: les systémiciens insistent largement sur l’idée que, si le système est pathogène, il n’en demeure pas moins qu’il possède en lui des forces “salutogènes” qui lui permettront de trouver des nouvelles modalités de communication.

La tâche principale du coach (ou du thérapeute, dans le cadre d’une thérapie), sera, face au système réuni dans la même séance, de permettre à l’information de circuler, à partir de plusieurs techniques (dont les questions circulaires), de créer un environnement favorable à l’empathie, afin que les membres du système puissent ensemble soutenir le patient désigné vers l’amélioration de son état, en trouvant par eux-mêmes les modifications dans les modalités qui définissent le système.

En effet, la majeure partie des systèmes ont la créativité et les ressources suffisantes pour définir leurs propres solutions et les mettre en oeuvre, à partir du moment où ils y sont autorisés (idée du droit à l’erreur).

De ce constat, de nombreux outils ont émergé, en grande partie du Mental Research Institue (MRI) de Palo Alto, tels que les thérapies brèves, les stratégies d’accompagnement (que l’on nomme, dans notre profession, “contrat de coaching), le Solution Focus, …

Dernière remarque

Peut-être avec un peu de provocation, mais cependant avec sincérité, je dirai que pour pouvoir accompagner un système en souffrance, il faut travailler avant tout avec les éléments qui n’en sont pas coupables, en leur demandant ce qu’ils gagnent à maintenir cette situation.