Dans les fondamentaux de l’approche systémique et stratégique, nous trouvons, bien sûr, la systémique, ainsi que la cybernétique et la théorie de la communication.

Un autre article traite déjà de quelques aspects de la systémique, bien qu’il omet de caractériser les systèmes, qui feront l’objet d’un autre article. Ici, le sujet est bien la cybernétique, en tant qu’une science qui a largement contribué au début de la systémique, notamment par l’adoption qu’en fera Bateson dans son approche thérapeutique. La cybernétique ne signifiant pas du tout robotique, n’a rien à voir avec le cyberpunk ou les cyborgs – dommage, si vous le croyiez – kesako ce truc? Et quel est en lien avec l’approche systémique?

Aux origines de la cybernétique… Le premier mouvement

Posons le terme dès le début: Cybernétique vient du grec « κυβερνητική », « kubernêtikê » du grec « kubernân », qui désigne le pilotage d’un navire. Par extension, cela donnera les mots « gouvernail », « gouverner », … en français (je n’ai fait que copier / coller. source: Wikipedia) .

Pour situer la cybernétique au milieu d’autres approches

Dans le début des années 40, plusieurs mathématiciens, ingénieurs et neurophysiologistes posent les bases de la discipline, dans le but de théoriser le fonctionnement des organisations au travers des structures de communication et d’auto-régulation. Parmi eux, le mathématicien Wiener choisira d’utiliser le mot « Cybernétique » pour caractériser cette discipline.

Dans cet attroupement de connaissances et d’intellects, nous retrouverons d’autres noms, comme le psychiatre William Ross Ashby – qui proposera la Loi de la variété requise »  ou encore le mathématicien Alan Turing.

D’après Wiener, en étudiant la manière dont l’information circule dans l’organisation et permet la prise de décisions, on peut en comprendre le fonctionnement. De là viendra le concept de « feedback » ou rétroactions, qui peuvent être considérées positives ou négatives… sans que cela ait le moindre rapport avec ce qu’on appelle dans notre langage usuel « un feedback positif » (« trop bien ce que tu as fait! »), ou un « feedback négatif » («Vraiment… tu as abusé à être encore en retard »). It’s a trap!

It's a trap!
Oh my! Une rétroaction positive nous est finalement négative!

 

Pour résumer et donner une définition claire de la cybernétique, j’en prendrai deux (voilà… « une définition », « claire » et « cybernétique » dans la même phrase était arrogant de ma part, au regard de mon niveau de compétences…).

La cybernétique est:

« La science du contrôle et de la communication chez l’animal et la machine »

Norbert Wiener

« L’art de trouver son chemin »

William Ross Ashby

On pourra noter la dimension un peu plus poétique qu’Ashby offrira à la discipline…

Du coup… Parlons un peu des rétroactions et de cette Loi de la variété requise.

 

Des rétroactions et de la régulation

L’histoire commence par une question de missiles… On peut y voir un côté « interactions humaines », certes… mais non des plus réjouissant.

Durant la Seconde Guerre Mondiale, Wiener travaille sur l’amélioration des défenses anti-aériennes. Comment pouvoir toucher une cible en mouvement – et en mouvement rapide – dans les airs? Une question qui peut sembler aujourd’hui simple: il suffit que le missile suive l’avion non?

Ceci dit, dans un monde où l’artillerie lance des obus, sur des cibles parfois mobiles – certes – mais lentes, et surtout où la surface d’impact possible est plus large – un obus qui tombe à côté et non parfaitement sur la cible occasionne déjà de larges dégâts – toucher un petit objet rapide au mouvement non linéaire au milieu « du rien » (enfin, de l’air), pose d’autres problématiques.

C’est ainsi que Wiener posera les bases du ciblage et mise à feu automatique des missiles. (Il refusera après la guerre de travailler pour la moindre organisation gouvernementale ou affiliée à l’armée).

Le principe est simple à vulgariser: puisqu’on ne peut pas faire confiance aux informations initiales reçues au lancement du missile, il est nécessaire de réajuster systématiquement la destination prévisionnelle de l’objet. Ainsi, le missile envoie un signal de détection vers l’avion; de l’avion il recevra des informations qui lui permettra de réajuster au fur et à mesure sa trajectoire, réduisant l’écart à son objectif, jusqu’à l’impact.

Ainsi, on parle de rétroaction parce que le message « envoyé » par l’avion est lui-même la cause du changement de vecteur du missile, qui va être lui-même la cause du changement de positionnement de l’avion, qui va… En d’autres termes: une rétroaction n’est pas partie d’un « mécanisme linaire », mais bien d’un processus dans lequel la conséquence d’une cause devient la cause de sa propre cause. Et en clair: « ça fait une boucle! ».

Et de là, on identifie des rétroactions positives et négatives… au sens mathématique.

Reprenons le cas du missile, une rétroaction qui augmente l’écart entre le missile et son objectif est dite « positive », en ce qu’elle « ajoute » à la distance, elle « augmente » le décalage. Une rétroaction qui diminue ce même écart est dite « négative », étant donné qu’elle « enlève » de la distance.

Dans le domaine des interactions humaines, parce que le sujet est bien là et non dans l’étude des missiles:

  • Une rétroaction positive nous éloigne de ce que l’on souhaite.

Possiblement, elle nous mènera même à l’échec définitif.

« Plus je demande à mon fils de se taire, plus il se met à hurler à tue-tête ».

D’autres cas que nous rencontrons aisément sont liés à des difficultés de vie (professionnelles ou personnelles), face auxquelles on emploiera une solution venant de notre expérience passée, qui ne fait qu’amplifier le problème. Plus un couple est en désaccord, plus il tente de faire l’idée du désaccord en fuyant le conflit, plus il s’approche de sa séparation.

Il y a aussi le sujet de la limite à la croissance (Rapport Meadows, 1972). Plus nous consommons de matières premières et de l’énergie, plus nous dégradons la Terre, plus nous nous approchons de notre extinction.

Ainsi, une rétroaction positive est synonyme de dérégulation du système, amenant soit sa fin, soit un changement drastique de ses règles de fonctionnement. Plus tard, Bateson utilisera l’idée de “changement de type II” pour qualifier les situations où le système réussit à modifier ses règles de fonctionnement sans disparaître.

  • Une rétroaction négative nous rapproche de notre objectif.

« Je refusais de traiter cette pile de dossiers depuis un mois, cependant je m’y suis mis et le nombre est redevenu acceptable »

Prenons une équipe, dont l’objectif est de livrer un produit de qualité. Si après des mois d’ajouts de nouvelles fonctionnalités à brides abattues, la qualité se dégrade, une rétroaction permettant de corriger et réduire l’écart par rapport à l’objectif, positionnant par exemple des moments de « nettoyage » et correctif sera considérée comme une rétroaction négative.

A contrario des rétroactions positives, celles qui sont négatives sont le soutien de la régulation d’un système, le rapprochant à nouveau de son état d’équilibre.

 

La Loi de la variété requise

1956 . William Ross Ashby énonce cette loi, simple en apparence: « Plus un système est varié, plus le système qui le pilote doit l’être aussi. »

Par « varié », Ashby entend la variété des règles permettant de maintenir de fonctionnement du système; c’est à dire l’ensemble de procédés de régulation dont dispose un système pour maintenir son autonomie et son intégrité; c’est-à-dire l’ensemble des rétroactions négatives qu’il est capable d’émettre suite à un stimuli.

Pour faire revenir au calme une classe en chahut, un ou une professeur devra disposer de plus de types de régulations que les propres régulations du système formé par les enfants, dont l’objectif affiché est de ne pas souffrir d’une heure de cours ennuyante. Si à chaque type de décrochage des élèves, l’enseignant emploie la même régulation, les premiers trouveront des parades pour tenir leurs objectifs. N’avoir qu’une corde à son arc permet un premier contrôle de la situation, cependant fonctionne rarement longtemps.

De même pour une direction face à ses équipes, et c’est d’autant plus saillant dans notre monde professionnel où il est « important » de laisser place à la créativité et à l’autonomie des équipes.

Prenons une direction prônant l’autonomie comme son objectif ne disposant comme seul moyen de régulation, lorsque la situation lui échappe (ce qui arrive, lorsqu’on soutient autonomie et créativité), de devenir directive; elle positionnera ses équipes dans une situation paradoxale, balayant d’un seul revers toute autonomie et confiance. Les rétroactions des équipes pourront être alors un désengagement, une déresponsabilisation, menant la direction vers l’échec de l’atteinte de son objectif.

A noter que cela fonctionne aussi parfaitement avec une direction n’ayant que la délégation, puisque par définition, elle ne pilote plus, ou du participatif, cas dans lequel il pourra arriver de faire perdre un temps phénoménal à tous pour un résultat décevant et frustrant.

D’ailleurs, on peut remarquer dans les entreprises que les comités de direction ont peu, mais tout de même deux ou trois modes de régulations, lorsqu’ils imposent un et un seul modèle de fonctionnement à leurs équipes: c’est ce qu’on appellera « TOM » (pour target operating model) dans le jargon des consultants. C’est une manière simple et rassurante de diminuer la complexité d’un système pour pouvoir le piloter. C’est également une illusion, car tout document cherchant à rendre visible les processus de fonctionnement d’un service, d’une direction, d’une entreprise, omet systématiquement de prendre en compte les procédés de régulations purement humains (par exemple, une discussion à la machine à café pour résoudre un problème, ou pour se plaindre et lancer une grève).

Il est bien souvent une illusion de vouloir « restreindre » la variété du système piloté; il est par contre utile que le système pilote augmente – si nécessaire – sa propre variété de régulation, s’il souhaite continuer à être pilote (d’où le mot « requise »)

Bref… Un énoncé simple. Qui peut se matérialiser en des énigmes complexes sur le terrain.

Le second mouvement: la réconciliation entre Cybernétique et Systémique

Aux origines, cybernétique et systémique ne faisaient pas bon ménage.

Les théoriciens des deux écoles cherchant à décrire à peu près les mêmes éléments, mais avec des outils différents… logique qu’il y ait pu avoir quelques frictions. En effet, Wiener ne parle pas de système, uniquement d’émetteur, de récepteur, de rétroaction.

Si Ashby mentionne les systèmes dans la Loi de variété requise, c’est bien en raison d’un rapprochement entre les deux disciplines; d’ailleurs, ce dernier travaillera en lien avec Bateson qui, puisant dans ces deux approches et accompagner par d’autres comme Watzlawick, Fish, … fera émerger des concepts puissants, rassemblant ainsi la caractérisation d’un système, de l’étude de son fonctionnement.

C’est ainsi que sera déclenché ce qu’on appelle le deuxième mouvement de la cybernétique – qui est considéré par certains comme une seconde révolution de la cybernétique.

Dans ces nouveaux concepts, nous pouvons citer l’homéostasie, la morphogenèse, par exemple.

D’ailleurs, repartons de la cybernétique pour parler d’homéostasie…

Il arrive – souvent en fait – que l’homéostasie soit à préserver, protéger et surtout à ne pas mettre en crise. Bonjour le dérèglement climatique. A noter d’ailleurs, qu’on peut poser l’idée que l’espèce humaine a développé largement plus de mécanismes pour réguler sa marche vers son propre objectif (disons… tout envahir et profiter) que son environnement (planète et autres) n’est capable de traiter. Sans vouloir remettre ici la Loi de variété requise…

Et parfois, l’homéostasie empêche l’atteinte d’un objectif visé. Ici, on pourra s’intéresser à l’existence d’un second objectif réel, masqué, subtile du système. Un objectif qui peut être antagoniste avec l’objectif exprimé. Par exemple, ces situations où on se dit: “L’année prochaine, j’arrête de fumer!”.

Pour amener un changement dans une équipe ou chez une personne, la cybernétique – par cette mécanique de régulation – nous indique l’idée de déstabiliser le système, suffisamment pour que celui-ci doivent régénérer un nouveau mode de fonctionnement. Peut-il être intéressant de générer plus de rétroaction positive? Pas forcément. Ou du moins, il est plus facile « d’enlever » que « d’ajouter ». Aussi, un des principes fondamentaux des thérapies systémiques (et de celles qui ont trouvé inspirations ou origines dans ce courant, comme les TCC, Solution Focus brief Therapy, …) et du coaching est de bloquer les rétroactions négatives, autrement dit, bloquer les tentatives de solution de régulation redondantes / inadaptées qui maintiennent le client ou le patient dans son état (lié au phénomène d’homéostasie).

Et donc… « Le problème, c’est la solution », phrase pleine de sens ici, que l’on prête de Watzlawick.

Enfin, un autre des apports de la cybernétique à l’approche systémique: l’observateur du système est depuis considéré comme faisant partie du système, étant donné que, par sa simple présence, il suscitera des rétroactions diverses. Et ce, même dans le silence et l’absence de mouvement car – encore Watzlawick – « On ne peut pas ne pas communiquer ». C’est d’une importance essentielle, car cela souligne que, souhaité ou non, l’accompagnant fait immédiatement “partie” du problème de la personne ou du groupe qui vient le consulter.

Petit mot de fin

J’ai tenté de faire court, très court. C’en est d’ailleurs frustrant : il y aurait bien plus de choses à dire encore. Cependant, dans cet article, vous devriez pouvoir trouver l’essentiel de ce qui se cache derrière le mot cybernétique, des principaux apports des deux premiers mouvements (car il y en a un troisième) et de ce que l’approche systémique doit à cet « Art de retrouver son chemin »