On peut pas.

Du coup, il ne faut pas juger.

On peut pas non plus…

Tout comme l’injonction “soyez positif!”, l’idée de ne plus poser le moindre jugement vis à vis des autres est impossible à tenir si on prend notre passif culturel. Cependant, on peut au moins comprendre ce qu’il se produit lorsqu’on exprime ce genre de propos, pour soi et pour les autres.

Même si cela n’évitera pas les problèmes, “raccrocher les wagons” peut devenir plus simple après avoir créé une situation de tension (le tout sans s’en rendre compte). C’est ce que je propose d’explorer dans cet article (aller! pour une fois je pose l’intention dès le début!)

C’est quoi un jugement?

Plutôt, comment définirais-je un jugement?

Un jugement est pour moi une qualification, positive ou négative, que l’on porte sur un objet (soi, les autres, un objet, …). Et nous en offrons à loisir à notre entourage. A vrai dire, il est rare que nous soyons factuels.

“C’est une belle chaise” est autant un jugement que “cette personne est stupide”. Le jugement pimente notre expression et raccourcit ce que l’on devrait dire si nous suivions précisément notre processus cognitif… Celui qui, de manière interne, dirait quelque chose du style:

“C’est une chaise avec 4 pieds, en bois massif, dont le dos est décoré, et qui est similaire à celles dans lesquelles je m’installais chez ma grand-mère lorsque j’étais enfant, ce qui me rappelle un souvenir heureux dans un environnement que j’aime me rappeler; et les barreaux du dossier ressemblent à ceux avec lesquels je jouais et que j’admirais tant. Je me sens bien, nostalgique mais joyeux. Je trouve cet objet beau”.

Ouais… C’est long et pénible à écrire (<- ceci est un jugement).

Ah! et puis, parfois, le jugement peut également compliquer nos interactions.

Comment peut être vécu un jugement?

Avant de dire que juger est bien ou mal, j’ai envie de me pencher sur le fonctionnement d’un jugement.

Prenons par exemple, une phrase qui paraît sympathique: “Tu es belle!”.

Dans cet exemple, le propos est tenu au sein d’un couple (je ne parlerai pas des situations de harcèlements qui sont, pour le rappeler, punies par la loi).

Plus haut, j’exprimais l’hypothèse selon laquelle un jugement peut être un “raccourci”.

On peut penser que la personne s’écriant “tu es belle!” est dans une émotion joyeuse, amoureuse, souhaitant le communiquer, et bim! parle de l’autre plutôt que de parler de ce qu’elle vit, en la qualifiant d’une manière “absolue”.

Parfois, cela fonctionne et c’est vécu comme un compliment.
Parfois, c’est gênant, parce que la personne en face n’est pas dans un moment où elle peut recevoir de qualificatif. Par exemple en pleine action, concentrée sur une tâche sérieuse.
Parfois, ce sera juste mal pris. “Non, je ne suis pas belle”, ou “Ne me réduis pas juste à un objet joli à regarder”,
Etc…

A noter que pour l’exemple, j’ai pris en destinataire une femme parce que c’est une situation que je connais, et j’ai connu les trois cas précédemment cités. Plusieurs fois.

Un autre exemple (ah ah! Qui m’arrive également occasionnellement): “T’es lourd”. Cette fois, il faut imaginer la situation où je peux faire quelque chose qui est perçu par l’autre comme une bourde, et que la phrase “t’es lourd” est dite sur un ton joyeux.

Pareil: je peux mal le prendre, bien le prendre, ne pas y réagir. Cela dépend de mon état interne.

Evidemment, il en est de même pour les jugements négatifs exprimés avec plus d’agressivité, de violence, … avec plus de chances d’être mal vécus que bien vécus (évidemment).

Et tout ceci mène souvent à une incompréhension, dans les mauvais cas: “mais tu prends tout mal, moi je plaisantais”.

Comment faire autrement?

Du calibrage ou de la synchronisation… Sans aller sur le domaine du magique. Juste, rester simple.

S’exprimer sous la forme d’un jugement est sûrement le moyen le plus répandu pour se déconnecter de l’autre, de l’empathie à l’autre. Pourquoi? Parce qu’on exprime son humeur sans faire attention à ce que l’autre vit. Même lorsqu’on dit des choses que l’on voudrait positives. Et l’autre n’a pas non plus la possibilité de comprendre cette humeur pour, potentiellement, s’aligner avec, puisqu’elle n’est pas exprimée.

On peut revenir à la Communication Non Violente, ou les étapes Observation Sentiment Besoin Demande évite de masquer à l’autre ses sentiments et ses besoins. Parfois, il n’y a pas de demande à exprimer. Cependant, il est crucial, pour se faire comprendre de l’autre, de lui communiquer son état émotionnel. Par respect pour l’autre, mais surtout par respect pour soi. Si l’autre ne réagit pas comme je l’espérais, ce n’est pas parce qu’il est idiot, stupide, ne fait pas d’effort, vit dans un autre monde (et une flanquée de jugements! une!). Non: si l’autre réagit mal c’est avant tout parce qu’on ne lui a pas permis de nous comprendre.

Si je dis “je te vois active, et t’occuper de tout un tas de choses, je me sens admiratif et amoureux, et cela me donne envie de te dire que je te trouve belle à mes yeux”, on pourrait certes questionner les motifs de mes envies. Mais d’une, ce sont les miennes, de deux, cela augmente mes chances d’être compris. Au passage, il m’est arrivé de croiser des personnes pour qui dire “tu es belle” à une personne ne pouvait signifier uniquement “je te veux dans mon lit”. Bonjour les incompréhensions…

Bon… La base de la CNV n’est pas non plus l’unique autre manière de faire. Par exemple, observer l’autre et adopter la posture que celui-ci, permet de faire passer plus facilement les messages, voire de ne pas en faire lorsqu’on sent que c’est inapproprié. Ceci signifie d’utiliser son empathie cognitive. Et, si on a l’impression d’en manquer, c’est un excellent exercice pour la développer.

Et si on n’y arrive pas? C’est pénible de faire attention à tout ce qu’on dit?

Et bien, comme d’habitude. On ne s’en veut pas: on fait déjà de son mieux. Personne n’est parfait, aucune interaction ne l’est, ce serait dommage de se flageller pour cela.

Par contre, comprendre ce qu’il se produit lorsqu’on exprime un jugement possède aussi un énorme avantage: on se retrouve à moins en vouloir à l’autre, à plus facilement comprendre pourquoi le message ne passait pas, pourquoi il y a eu un décalage, une incompréhension.

Dans le fond, ni l’autre, ni soi ne sont vraiment responsables de ces situations qui peuvent être parfois très pénibles: l’apprentissage du langage, en tout cas le français, peut facilement se baser sur la moquerie, la critique, le cynisme.

Par contre, nous avons la chance de pouvoir rendre la communication sereine, d’être plus à l’écoute, au fur et à mesure. Et c’est déjà beaucoup.